Conclusions finales

Paul Card. Poupard,

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1. Nous voici déjà parvenus au terme de l’Assemblée Plénière du Conseil Pontifical de la Culture, à 20 ans de sa création par le Pape Jean-Paul II. Le thème qui nous a réunis, « Transmettre la foi au cœur des cultures, novo millennio ineunte », a suscité des débats fort diversifiés, dans un joyeux climat de prière et d’amour fraternel, où s’est manifesté le même désir de trouver des voies nouvelles pour répondre aux défis de notre temps et aider toute l’Église à porter la bonne nouvelle au cœur des cultures du vaste monde, à l’aube du nouveau millénaire. Nous avons ensemble célébré la liturgie des Heures, partagé le pain eucharistique, ouvert nos cœurs aux préoccupations de pasteurs soucieux de faire entendre la voix du Seigneur dans le langage du peuple qui leur est confié. Nous allons, dans quelques instants, manifester notre communion au Saint-Père, et par lui à toute l’Église de Dieu qui, depuis les premiers temps apostoliques, répond joyeusement au commandement toujours nouveau du Seigneur : « Allez, de toutes les Nations, faites des disciples… ».

Il me revient maintenant de clôturer ces trois jours d’intenses réflexions, et de présenter quelques conclusions. Nous avons tous en mémoire, dans l’intelligence et dans le cœur, les contributions remarquables qui ont marqué cette Assemblée Plénière, et nous gardons avec émotion les témoignages de pasteurs confrontés à des situations concrètes où il est aujourd’hui difficile de proclamer sa foi. Mais nous restons fermes dans l’espérance, convaincus que la beauté de l’évangile du Christ saura continuer à féconder les cultures des hommes pour les élever, les purifier et leur donner de permettre à l’homme d’aujourd’hui de vivre et de se nourrir de la Parole de Vie.

 

2.       La rencontre de la foi et de la culture peut parfois ressembler, sous certains aspects, à celle de David et Goliath où l’un comme l’autre se défient mutuellement, mais avec des armes bien différentes. La particularité du message chrétien dépasse la spécificité des cultures, et le langage de l’Église ne peut être enfermé dans celui d’une culture donnée. Ce que l’Église a mission de transmettre, n’est pas un livre du passé, mais le Livre de vie, dont l’auteur est toujours vivant et continue d’écrire cette unique parole de vie dans les diverses cultures des peuples. Cette œuvre de l’Esprit se réalise à travers l’Église semper purificanda, soucieuse de sauvegarder l’universalité du message du Christ en le rendant audible à tous les peuples de toutes les cultures du monde. Ce faisant, elle opère un discernement salvifique pour les cultures en rejetant tout ce qui en elles manque d’humanité. L’alliance dans la foi oblige à la rupture avec tout ce qui n’est pas ouverture à la grâce de l’Évangile. A ce prix, la foi fait naître un nouvel humanisme, qui, bien loin de détruire la culture, la renouvelle et l’enrichit. Cet humanisme parle de la grandeur de l’homme, parce qu’il lui révèle son incomparable dignité de personne créée à l’image de Dieu et à sa ressemblance.

Nous avons affirmé notre conviction que la foi a une dimension méta-culturelle. En effet, si les missionnaires ont réussi à transmettre la foi dans des cultures dont ils n’avaient pas toujours les clés de lecture et d’interprétation, et dont ils ne connaissaient souvent pas le langage, c’est parce que la foi conduit à une rencontre personnelle avec le Christ vivant, et que cette rencontre est possible dans toutes les cultures, quelles que soient les expressions culturelles dans lesquelles la foi a été transmise. Il faut aimer les cultures pour discerner en elles ce qu’elles possèdent de vraies ouvertures à l’Évangile du Christ Jésus, mais il s’agit d’aimer plus encore le Christ et le peuple saint auquel nous sommes unis par la foi reçue au baptême.

 

3. En traduisant la Bible, saint Jérôme a ouvert un chemin nouveau qui va de la Bible à la culture, et non l’inverse. La transmission de la foi au cœur des cultures part de la Révélation, reçue de la Tradition vivante de l’Église qui, tout au long de deux millénaires d’histoire a assimilé et explicité le donné révélé, et utilise les langages des hommes pour les ouvrir au mystère du Dieu fait homme, Jésus, Fils de Dieu et fils de la Vierge Marie, unique Sauveur du monde. Elle s’exprime à travers une vie chrétienne qui se nourrit de la célébration des mystères. Beaucoup encore reste à faire pour que ce message soit traduit dans les langues locales de tous les pays du monde. Si un grand effort a été accompli pour la traduction de la Bible, certains documents du Magistère aussi importants que le Concile Vatican II, ne le sont pas encore. Le processus de l’inculturation de l’évangile semble exiger d’aller plus loin dans l’élaboration et la reconnaissance d’un Droit propre pour certaines Églises locales, l’acceptation d’un rite inculturé dans son milieu d’expression, et la rédaction, dans les éditions de la Bible, de notes culturellement enracinées dans le milieu de vie des personnes, qui les aident concrètement à s’en imprégner pour vivre la Parole révélée dans les situations concrètes des chrétiens dans la culture de leur milieu.

 

4. La transmission de la foi n’est pas seulement la proposition d’un donné notionnel.Plus encore qu’à l’intelligence, elle parle au cœur de l’homme. Plus que jamais, la nécessité d’un renouveau de la théologie se fait sentir là où elle s’est desséchée dans une sorte de positivisme au point de devenir simple technique rationnelle. Pour ce renouveau de la théologie, il est nécessaire de développer une nouvelle rationalité de la foi qui intègre davantage le symbolique et l’expression artistique. En même temps, une theologia cordis fondée sur la lecture assidue de la Parole de Dieu se fait particulièrement ressentir. Il ne s’agit pas seulement de connaître la lettre des Saintes Écritures et des écrits des Pères de l’Église, mais de s’imprégner de leur sève et des exemples des Saints pour vivre de la Parole de Dieu comme d’une parole de vie. Dans le dialogue avec les croyants d’autres religions qui emprunte diverses formes, le plus important est la prière qui lui donne de porter les fruits les plus féconds.

La theologia cordis emprunte la voie de la beauté, parce que le beau, plus que le bien et le vrai, attire. Pour que le message de l’Évangile devienne désirable à celui qui l’entend, il demande à être habillé d’un vêtement de beauté. Cette beauté du langage, de l’expression et des gestes de l’Église est particulièrement nécessaire dans la liturgie, comme dans les espaces de prière qui ont vocation d’aider le croyant à entrer dans la présence du Dieu de Beauté, d’Amour et de Vérité. L’évocation simple et belle du mystère de la transcendance de Dieu ouvre des voies fécondes de dialogue avec les autres grandes religions. Tandis que l’absence de beauté dans les actes liturgiques risque d’en faire un simple rite vidé de sa saveur et de sa référence au sacré. Aujourd’hui, le besoin se fait ressentir d’une éducation à la beauté, particulièrement dans les lieux de formation des futurs prêtres.

 

5. La famille demeure le lieu privilégié de la transmission de la foi et de l’éducation à une vie chrétienne. Dans la confiance familiale, les parents chrétiens éduquent au respect de la vérité dans un climat de prière et de piété. L’importance des toutes premières années de l’enfant et le besoin d’une présence attentive des parents demande à être rappelée. L’enfant élevé dans l’Église domestique va découvrir ensuite l’Église à travers la paroisse qui en est l’image et l’implantation concrète au milieu des maisons des hommes. Les mouvements sont aussi des lieux privilégiés de la transmission de la foi et de l’inculturation de l’évangile, car ils sont comme les bons vents qui poussent au large et incitent à l’incarnation de la vie chrétienne à travers des œuvres de solidarité et de partage.

 

6. La question a été posée : Que devons-nous faire maintenant ? L’expérience positive des rencontres continentales des Présidents des Commission épiscopales en charge de la culture invite à développer cette initiative. Une aide au travail de ces commissions pourrait être apportée par l’élaboration d’un Instrumentum laboris, qui leur permette de définir clairement leur mission et d’aider à leur tour les Commissions diocésaines en charge de la culture. Il importe de percevoir que ces commissions ne s’ajoutent pas aux autres commissions diocésaines – catéchèse, sacrements, enseignement, etc. – mais les aident à prendre en compte la dimension culturelle de la transmission de la foi selon leurs propres compétences.

Les Centres Culturels Catholiques ont un rôle particulièrement important, comme laboratoires de la rencontre de la foi et des cultures. L’accroissement de leur nombre, le développement de leurs activités et les liens qui se créent de plus en plus entre eux, sont source de grande espérance. Le besoin se fait toutefois sentir d’une meilleure coordination de ces centres, d’une formation approfondie des responsables, comme d’un partage des expériences toujours fécond pour inventer les voies d’un dialogue ouvert et franc avec les acteurs de la culture, notamment les artistes, les scientifiques et les enseignants et responsables des universités.

 

7. Enfin, l’Église ne saurait ignorer le monde des communications dont le potentiel est devenu énorme pour l’évangélisation et qui demande aussi à être évangélisé. Pour cette entreprise exigeante et nécessaire, les Pasteurs doivent apprendre, sinon à en parler le langage, du moins à le connaître. Le milieu des médias est composé d’hommes et de femmes qu’il s’avère nécessaire d’approcher, de comprendre et d’aimer. Ils peuvent devenir de précieux alliés de l’Église pour développer une culture de la solidarité et de la paix, ancrée dans les valeurs évangéliques, et nous aider à ce que le parler de l’Église ne devienne pas une langue étrangère pour les hommes d’aujourd’hui.

 

8. Ce sont des horizons immenses qui s’ouvrent à la dimension transversale d’une pastorale de la culture pour le nouveau millénaire. S’il n’est pas d’évangélisation des cultures sans inculturation de la foi, c’est la foi toujours qui est l’âme de la piété populaire, ce trésor incomparable de l’Église, et qui est au cœur du dynamisme de l’inculturation, la foi vivante des fidèles au Christ ressuscité dont l’Amour rayonnant ne cesse de susciter au cœur des cultures, de nouveaux fruits de sainteté.