DISCOURS D’OUVERTURE AUX TRAVAUX DE L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE
1. En ouvrant cette Assemblée Plénière du Conseil Pontifical de la Culture, la dernière du second millénaire, je tiens, avant tout et par dessus tout, à vous dire ma reconnaissance pour votre participation à cette réunion institutionnelle, fondamentale pour les orientations du Dicastère et la définition de son programme d’activités.
Plusieurs d’entre vous étaient membres de la récente Assemblée Spéciale du Synode des Évêques pour l’Europe. Je mesure le sacrifice que représente une nouvelle, bien que brève absence de vos diocèses ou de vos Dicastères. Compte tenu du caractère particulier de l’An 2000 qui verra la multiplication des manifestations jubilaires à Rome, la Secrétairerie d’État a souhaité qu’aucune Plénière ne se tienne à Rome en l’an 2000. Comme il était impensable de repousser cette réunion en 2001, compte tenu de l’ampleur de l’activité du Conseil qui va sans cesse croissant, il a fallu nous résoudre à anticiper cette rencontre.
Au service de l’Église universelle et de chacune des Églises locales, le Conseil Pontifical de la Culture a besoin de vous, Membres et Consulteurs du Dicastère, non seulement pour mieux appréhender les défis de l’inculturation de l’Évangile et de l’Évangélisation des cultures, mais aussi pour recueillir le fruit de votre expérience et de votre réflexion personnelles en ce domaine décisif pour le troisième millénaire.
Au cours de la décennie qui s’achève, le Conseil Pontifical de la Culture a orienté son activité autour d’un axe principal que je pourrais ainsi qualifier : comment, concrètement et sur quelles solides bases bibliques, philosophiques et théologiques, porter l’Évangile du Christ au cœur de la personne humaine, chacune et chacun dans sa culture, afin que la Bonne Nouvelle du Christ les transforme en leur donnant accès à un humanisme plénier ?
Pour ce faire, les Assemblées Plénières successives, partant de la question cruciale : comment dire Dieu à l’homme d’aujourd’hui ?, ont considéré comme la priorité de notre Conseil une réflexion articulée sur la Pastorale de la Culture intégrant des propositions concrètes à mettre à la disposition des Évêques et de tous ceux qui se proposent de prendre en compte la dimension culturelle de la pastorale, qui vise toujours ce qui est propre à la personne humaine, être culturel.
Grâce à votre précieuse et dévouée collaboration, le Conseil Pontifical de la Culture a pu présenter cette année, avec le concours très apprécié de Son Éminence le Cardinal Martini, le document pastoral mûri au cours de cinq années de réflexion et d’échange avec les Membres et les Consulteurs du Conseil. Ce document qui présente de grandes orientations et surtout des propositions concrètes d’action, a été particulièrement bien accueilli et apprécié, et non seulement dans les milieux catholiques. Présenté en six langues par notre Conseil, il est déjà traduit aussi en roumain et en slovaque, et en cours de traduction en d’autres langues. Même si – à l’instar de toutes les œuvres communes – ce sont quelques chevilles ouvrières qui effectuent l’essentiel de la rédaction, ce document d’orientation pastorale – je tiens à le souligner – est l’œuvre du Conseil Pontifical de la Culture en son entier. A ce titre, je tiens à vous remercier tous et chacun de votre collaboration. Vous avez contribué, à des titres divers mais avec la même générosité, à cette œuvre commune qui, je l’espère, sera utile à l’accomplissement de la mission de l’Église dans le domaine de la culture.
2. Le grand défi culturel à relever dans la plus grande partie du monde est sans conteste celui de l’indifférence religieuse. L’athéisme systématique et parfois même institutionnel qui a marqué la plus grande partie du XXe siècle, a disparu de la plupart des nations de la terre. L’exception notable de la République de Chine, de Cuba, du Vietnam et d’autres pays qui forment l’immense Asie nous font mesurer avec quelle légèreté journalistes, écrivains, hommes d’Église ont pu affirmer au lendemain de la chute du mur de Berlin que l’athéisme n’existait plus. Il existe et, au contraire plus que jamais, oserais-je dire, il se manifeste dans nos cultures à travers le scepticisme intellectuel, le relativisme moral et l’indifférence religieuse.
Partout dans le monde, où l’Église est libre et les citoyens jouissent d’une effective liberté de conscience, se manifeste de plus en plus une pure et simple privatisation de la religion.
Dans la culture de l’indifférence, si je puis ainsi qualifier cette inculture, les chrétiens sont admis – peut-être moins d’ailleurs que les musulmans ou les bouddhistes – à condition qu’ils ne se manifestent pas comme tels. Il suffit d’observer les chrétiens engagés dans la politique ou dans les affaires pour comprendre les immenses difficultés soulevées par leur profession de foi. Leur témoignage de générosité est apprécié, à condition de ne pas revêtir publiquement les couleurs du christianisme. Nous pouvons dire en ce sens que le développement du pluralisme a engendré une nouvelle donne culturelle qui n’admet guère que le chrétien manifeste sa propre différence religieuse. Dans ce pluralisme aplati, aucun disciple du Christ ne peut s’accommoder d’un christianisme fade, qui se cache modestement dans les plis de la culture aseptisée de l’indifférence religieuse.
3. Aussi le Conseil Pontifical de la Culture se doit-il de poursuivre sa mission pastorale, avec votre aide, pour sensibiliser toute l’Église au grand défi de ce tournant de siècle : l’indifférence religieuse.
Cette indifférence religieuse se manifeste non seulement au plan de la pensée, du croire ou ne pas croire, mais aussi au plan de l’action, ou plus exactement au plan de la passivité qui est le fruit de l’indifférentisme au plan de l’agir.
Notre défi essentiel consiste à faire passer nos contemporains de l’indifférence à l’émerveillement, non par quelque tour de prestidigitation, mais par l’annonce crédible de la Bonne Nouvelle du Christ, toujours neuve au seuil du nouveau millénaire.
Pour tirer le plus grand profit de ces deux journées et demie, je vous invite à prendre comme fil conducteur quelques éléments du Motu proprio Inde a Pontificatus par lequel le Saint-Père a réuni, en 1993, le Conseil Pontifical pour le Dialogue avec les Non-Croyants au Conseil Pontifical de la Culture, prenant ainsi en compte les bouleversements culturels survenus au lendemain de l’implosion de l’Empire soviétique.
La rencontre avec les non-croyants et les indifférents implique de fonder bibliquement, philosophiquement et théologiquement notre action pastorale. Les pays sécularisés représentent un défi de taille pour le dialogue avec les non-croyants et l’évangélisation des cultures, tandis que d’autres conditions historiques ou culturelles suscitent de nouvelles urgences : inculturer l’humanisme formé par la foi chrétienne au cœur des cultures. La disparition du système politique communiste en Europe a suscité de nombreuses mutations culturelles à prendre en compte. Il nous faut nous interroger sur les initiatives appropriées pour instaurer et développer dans ce contexte un dialogue fécond de la foi avec les cultures. Parmi les données culturelles les plus répandues et les plus significatives de ce temps, nous aurons sans nul doute à retenir la grande place prise dans la conscience de nos contemporains par le besoin de relations étroites entre Dieu, l’homme et la nature. Cette tendance n’est pas sans susciter de graves questions, mais il nous faut certainement la prendre en compte pour mieux orienter l’action pastorale de l’Église.
Afin de faciliter notre échange et de l’enrichir, j’ai demandé à quelques-uns d’entre nous, que je remercie pour leur aimable disponibilité, de préparer une brève intervention sur l’un ou l’autre des thèmes abordés. Au fur et à mesure de l’avancement de nos travaux, nous aurons aussi l’occasion de faire le point de la situation dans les grandes aires culturelles du monde, car notre démarche honorera la double dimension géographique et culturelle de toute réalité humaine aussi bien que chrétienne.
Mais, auparavant, le Père Bernard Ardura, notre dévoué et actif Secrétaire du Dicastère, va vous présenter l’activité déployée depuis la dernière Plenaria. J’en dis seulement un mot ici, en guise d’introduction.
4. Le travail habituel de notre Dicastère est toujours marqué par de nombreuses rencontres, d’Évêques en particulier, d’hommes et de femmes de culture, croyants et non-croyants, agnostiques et indifférents, artistes et journalistes, hommes de radio, de cinéma et de télévision. De plus en plus nombreuses se font les demandes, en provenance bien sûr des plus proches géographiquement, de l’Italie et de l’Europe, mais aussi du monde entier, et nous sommes peu nombreux pour y répondre, malgré notre vif désir de plus grande disponibilité. Notre souci, dans la mesure du possible, est de privilégier l’international sur le national, et le national sur le local. C’est ainsi que nous avons tenu, dans le sillage des Synodes Spéciaux des Évêques pour l’Afrique, l’Asie et l’Amérique, des Symposiums intercontinentaux à Abidjan pour l’Afrique francophone, à Nairobi pour l’Afrique anglophone, à Bangkok pour l’Asie, et tout récemment une série de trois Colloques successifs en Colombie. Beaucoup d’autres rencontres, chacune avec son style particulier, ont eu lieu, de Québec à Klingenthal, et de Bologne à Séville. Le Père Secrétaire vous en donnera un compte-rendu détaillé, ainsi que des divers Congrès organisés à Rome avec les Universités Pontificales, et l’effort accompli en direction du cinéma avec l’Ente dello Spettacolo.
A la demande du Pape Jean-Paul II, comme nous l’avions fait déjà en 1991 pour préparer le premier Synode Européen, le Conseil Pontifical de la Culture a réuni un second Symposium présynodal de culture dans la Salle du Synode des Évêques au Vatican, avec pour thème : Jésus-Christ, source d’une nouvelle culture pour l’Europe au seuil du nouveau millénaire. J’ai été frappé pour ma part de ce que tous les invités sans exception, non seulement catholiques, mais aussi luthériens et orthodoxes, ont répondu avec ferveur à notre appel et que ces journées ont témoigné, comme je l’ai dit au récent Synode Spécial des Évêques pour l’Europe, d’un potentiel important de réflexion pour l’Église dans tous les domaines de la pensée, comme aussi pour l’engagement décidé en ces quatre voies fondamentales :
1. Retrouver les fondements : philosophie et théologie, anthropologie et sciences.
2. Ressourcer la famille et l’éducation, l’école et l’université.
3. Renouveler les humanités, les arts et la communication.
4. Repenser la vie de l’homme et de la femme dans la Cité : Nations et cultures, éthique, économie et politique.
Par un petit miracle, les Actes ont pu être traduits en italien et édités dans leur intégralité par l’équipe de la Revue Il Nuovo Areopago dans un beau numéro double qui a été offert en hommage au Saint-Père et à tous les Pères Synodaux. Grâce à notre ami irlandais William Stainsby, une bonne partie des textes, traduits en anglais, ont été imprimés et remis eux aussi au Saint-Père et à plusieurs Pères Synodaux dans un beau volume enrichi d’aquarelles en couleurs de Noëlle Herrenschmidt. La traduction en russe est déjà achevée à Moscou, et d’autres éditions sont en cours en Espagne, en Pologne et au Portugal. D’autres ouvrages d’ailleurs ont été publiés à un rythme soutenu dans les deux collections du Conseil Pontifical de la Culture Culture e Dialogo chez Piemme, et Fede e Cultura, chez Città Nuova.
5. Nous le disions au terme de notre dernière Assemblée plénière : l’inculturation de la foi va de pair avec l’évangélisation des cultures. Depuis lors, de Synode en Synode d’Évêques, cette conviction s’est approfondie dans toute l’Église, au sein des Églises locales de tous les Continents, et partout aussi s’affirme la nécessité d’un discernement évangélique ouvert et exigeant, afin de ne pas absolutiser certains éléments des cultures au détriment de l’Évangile qui ne peut jamais être relativisé au profit des cultures. Le sociologue américain Peter Berger le disait avec humour : " il sera bientôt veuf celui qui veut épouser l’esprit de son temps ". Dans le dialogue à la fois confiant et exigeant qui est le nôtre avec les non-croyants comme avec les cultures, nous savons bien que la mission de l’Église ne s’épuise pas dans le dialogue, pour nécessaire qu’il soit, mais qu’il nous est toujours demandé, comme déjà le voulait l’apôtre Pierre, de " rendre compte avec douceur et respect de l’espérance qui est en nous ". Si nous voulons nous réjouir avec tous nos frères de la part de vérité qu’ils détiennent, nous voulons aussi partager avec eux la plénitude de vérité du Verbe de Dieu qui s’est révélé à nous comme la Voie, la Vérité et la Vie.
La culture moderne est anthropocentrique. Jusque dans ses pentes inhumaines, elle demeure inquiète de l’homme jusqu’à l’angoisse. Or le Christianisme n’a de raison d’être, en ses fondements, que d’apporter le salut à l’homme en Jésus-Christ, Redemptor Hominis, le Rédempteur de l’homme. Tel est le point d’ancrage pour l’inculturation du Christianisme dans la culture moderne, je le rappelais dans mon livre récent sur Le Christianisme à l’aube du IIIemillénaire (Paris, 1999), en citant le discours du pape Paul VI à la clôture du Concile Vatican II, voici 34 ans, il m’en souvient, le 7 décembre 1965 : " Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme " (p. 179).
C’est ce qui nous a conduit à choisir pour thème de cette Assemblée Plénière : Pour un nouvel humanisme chrétien à l’aube du nouveau millénaire.
Il va maintenant vous être rendu compte de la variété et de la richesse des réponses suscitées en tous les continents par l’envoi de notre questionnaire préparatoire en six langues, à cette Plénière, depuis 1997. C’est dans ce va et vient, ce dialogue permanent avec les Églises locales, que le travail de notre Dicastère trouve aussi bien son point d’appui que son stimulant. Et j’en exprime à tous ma plus vive gratitude.