CONCLUSIONS FINALES DE L’ASSEMBLÉE PLÉNIÈRE

Paul Cardinal POUPARD

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1. Nous voici déjà parvenus au terme de notre Plenaria, des journées fort brèves mais très intenses, vécues dans la prière, l’invocation à l’Esprit-Saint, l’écoute les uns des autres, le partage fraternel et la fraction du pain. Nous avons revécu l’expérience de la première communauté chrétienne décrite dans les Actes des Apôtres. Ensemble nous rendons grâces au Seigneur qui nous a rassemblés, et en votre nom à tous, je remercie notre Saint-Père le Pape Jean-Paul II pour son Message Autographe qui nous a éclairés et encouragés, en nous renouvelant son estime et sa confiance, avec sa Bénédiction Apostolique pour continuer avec intelligence et courage, foi, espérance et amour, la tâche si difficile, mais absolument nécessaire qui est la nôtre dans l’Église au seuil du IIIème millénaire. Nous avons tous en mémoire, dans l’intelligence et dans le cœur, les contributions remarquables qui ont marqué cette Plenaria, remarquables de sérieux, de gravité, d’authenticité, d’amour de l’Église et d’amour des hommes, toutes empreintes de la foi au Christ, la prière à l’Esprit-Saint, l’espérance dans la miséricorde du Père, marquées aussi par la prise de conscience d’une mutation culturelle importante qui implique pour tous les responsables d’Église un engagement décidé pour une Pastorale de la Culture renouvelée au seuil du IIIème millénaire. Les défis que nous avons identifiés et auxquels nous devons répondre exigent beaucoup des Églises particulières et tout particulièrement des Évêques. Le Conseil Pontifical de la Culture renouvelle toute sa disponibilité à leur égard.

2. Beaucoup d’illusions du temps de l’après-Concile sont tombées. Le mot, magique à cette époque, de dialogue, se trouve redimensionné. Il n’est pas une fin en soi, mais un moyen, un moment, une attitude nécessaire des messagers que nous sommes de la Bonne Nouvelle de l’Amour du Christ. A cet égard, plusieurs affirmations se sont clairement manifestées : l’importance pour le dialogue, de l’affirmation paisible et sereine de l’identité chrétienne propre, y compris dans le vêtement pour les prêtres, la nécessité de la prière, l’importance de la religion populaire, le besoin de guides spirituels, le retour de la compassion et de la miséricorde, de l’adoration et de la contemplation. Les mêmes perceptions viennent de l’ensemble des nouveaux Mouvements dans l’Église, qui privilégient le spirituel par rapport au socio-politique, et l’amour constructeur de l’Église à la place de la critique systématique négative et destructrice. Une autre prise de conscience importante est que le dialogue ne saurait se limiter à des échanges intellectuels, qui ne peuvent intéresser que des cercles restreints d’intellectuels, " les non-croyants pensants ", comme il a été dit. La majeure partie des gens est formée de femmes et d’hommes qui ne théorisent pas l’existence, mais la vivent. Chez eux, la plupart du temps, quand ils ne sont pas croyants, le problème du sens, et du sens des sens semble ne pas se poser, sauf dans les moments les plus graves, de la naissance des enfants à la mort des parents, de l’amour et de la souffrance, qui sollicitent l’attention des pasteurs.

3. Par ailleurs, dans la culture dominante, une tendance très forte marginalise la foichrétienne et souvent ridiculise les exigences éthiques de la sequela Cristi, la vie chrétienne. Il en résulte comme un complexe d’infériorité de la part des chrétiens, qui les empêche d’être le levain dans la pâte et le sel de la terre capables d’incarner la culture des Béatitudes au cœur de notre temps. A cet égard, une remarque importante a été faite : pourquoi les chrétiens se sentent-ils obligés toujours de se justifier de leur foi au Christ, comme s’il s’agissait d’une attitude incongrue, et pourquoi ne demandent-ils jamais aux non-croyants, aux athées, de justifier leur athéisme ? Déjà le philosophe Etienne Gilson, dans un livre trop peu connu en son temps et absolument oublié aujourd’hui, retenait : " l’athéisme difficile ". En d’autres termes, si nous avons toujours à rendre compte, comme le demandait déjà l’apôtre Pierre, avec douceur et respect, de l’espérance qui nous habite, nous avons aussi à demander à ceux qui affichent leur athéisme de s’en justifier intellectuellement, de nous en donner les raisons. Pour Etienne Gilson, aucun doute : personne n’a jamais pu prouver que Dieu n’existe pas. Il est important que les croyants, que les chrétiens, en prennent conscience et vivent et témoignent leur foi au Christ sans complexe.

4. Une autre prise de conscience est celle du combat spirituel qui est celui de la vie chrétienne. Des forces obscures et parfois coordonnées s’opposent à l’Église. La culture de la vie rencontre une contre-culture de mort. La plupart des gens n’en sont pas conscients et vivent dans un matérialisme inconscient, un hédonisme attrayant, un pragmatisme sans transcendance. C’est là que l’Église rencontre aujourd’hui l’une de ses difficultés les plus grandes à proposer le message évangélique de Jésus comme le chemin, la vérité, la vie. Notre culture de la tolérance tolère tout, sauf l’absolu de la vérité. Et toute proposition qui se présente comme un Absolu est retenue comme dangereuse, car porteuse de violence. La culture dominante a une peur profonde des propositions fortes qu’elle amalgame avec les attitudes fondamentalistes, très justement combattues. D’où la tentation pour les chrétiens, surtout pour ceux qui occupent des responsabilités importantes dans les champs de la politique, de l’économie, de l’éducation et de la culture, de mettre leur foi entre parenthèses et même sous le boisseau. Comment créer une culture chrétienne, si les chrétiens ont pour première préoccupation de cacher leur appartenance au Christ ? Les institutions internationales elles-mêmes affirment de plus en plus une tendance à ne prendre en compte les religions qu’en les vidant de leur contenu spécifique, en les réduisant à leur plus petit commun dénominateur, en une sorte de syncrétisme mou, vaguement spirituel, au nom d’une transcendance sans Transcendant. Cet humanisme immanentiste se traduit en relativisme devant la vérité, nihilisme en philosophie, scepticisme devant les normes éthiques, permissivité dans le comportement quotidien. L’un des défis les plus grands pour l’Église aujourd’hui est de convaincre la culture dominante que Dieu n’est pas le rival de la grandeur et du bonheur de l’homme, mais le plus sûr garant de sa liberté et de son plein épanouissement humain.

5. A cet égard, autant il est difficile de répondre à des questions qui ne sont pas posées, autant il est nécessaire de privilégier d’autres voies de rencontre avec les hommes et les femmes qui vivent la culture de notre temps marquée par l’indifférence : l’art comme expression du mystère de l’invisible rendu visible à nos sens, la liturgie empreinte de beauté et incitatrice au recueillement, la charité effective qui sait découvrir par-delà les frontières des visages de frères et d’amis, la joie offerte et l’espérance partagée qui donnent saveur au présent et un avenir au futur, en élargissant l’horizon, du temps à l’éternité, avec la promesse d’un accomplissement total de la personne, véritable humanisme, intégral et solidaire : tout homme et tout l’homme. Devant les grandeurs et les misères de l’anthropologie moderne, le retour à l’anthropologie biblique permet de répondre aux défis anthropologiques de la culture dominante des pays sécularisés qui n’est pas sans retentissement à l’intérieur même du peuple chrétien. Ce n’est pas à de vagues compromis que nous appelle la foi au Christ, mais au discernement éclairé par la prière à l’Esprit-Saint, soutenu par les communautés de foi vivante, d’espérance partagée et de charité en actes, qui sont attrayantes pour les nouvelles générations des jeunes, plus en quête de témoins concrets que de maîtres abstraits.

6. C’est tout le défi de l’inculturation de l’Évangile en toutes les cultures de tous les continents, dont le fruit est le nouvel humanisme chrétien aux dimensions du monde. L’Évangile assimilé dans la prière et vécu dans l’Église rend de plus en plus humains ceux qui par leurs promesses baptismales doivent devenir de plus en plus divins. En ce sens, la relation entre l’Évangile et la culture est analogue à celle entre le Logos et l’humanité. Et le processus complexe de l’inculturation devient une démarche de foi pour ouvrir à chaque communauté son chemin vers le Christ, Verbe incarné, et pour présenter à l’Église des voies d’accès au cœur d’un ensemble de cultures, en vue de l’évangélisation. Quelques domaines privilégiés ont été présentés, au nombre de sept : la traduction de la Parole révélée dans les langues locales, la catéchèse dans les langues du pays, la liturgie où les signes et les symboles des cultures traditionnelles sont repris, rejetés ou réinterprétés en vue d’une signification nouvelle, l’art en son style propre sous toutes ses formes : littérature, poésie, rythmes, chants, gestes et danses, peintures, sculptures, statuaire, les modes de comportements sociaux des communautés chrétiennes, les espaces et les temps sacrés, et enfin la dynamique de l’Église comme famille de Dieu, si importante pour les cultures africaines en particulier.

7L’inculturation demande une implication de toute l’Église, et singulièrement des Églises locales en liaison constante avec le Saint-Siège, garant de la catholicité de l’Église apostolique, et en même temps un effort renouvelé d’évangélisation missionnaire. Souvent, seule une faible couche de la population est sécularisée, et théorise l’athéisme, l’agnosticisme, le sécularisme. La plupart vivent dans une culture quotidienne sans idéologie, mais pragmatique. C’est l’anthropocentrisme à outrance. Que Dieu existe ou non, la vie continue : qu’est-ce que cela change ? disent les gens. Et souvent dans le peuple, latino-américain en particulier, c’est une véritable dichotomie. La pensée et la sensibilité demeurent imprégnées d’une mentalité sacrale confusionnelle, pleine de rites et de mythes plus ou moins syncrétistes, superstitieux, dévotionnistes, mais la pratique quotidienne en est détachée. Bien plus, le contenu de la référence religieuse demeure évanescent. Sur 80 % des personnes qui déclarent croire en Dieu, pour 80 % de ces 80 % ce Dieu n’a aucun contenu personnel, mais est une espèce de grande référence cosmique. Et lorsque l’Église met l’accent sur l’engagement socio-politique, le peuple va chercher dans les sectes la référence religieuse dont il a besoin. Dans cette perspective, contrairement aux analyses prospectives de sociologues des dernières décennies, le vide provoqué par le dépérissement des Églises, bien loin d’être un désert ouvert à l’athéisme, se remplit très vite par la poussée des sectes, et parfois la résurgence de cultes sataniques.

8. L’univers post-communiste est profondément marqué dans la culture par le passage du collectivisme à l’individualisme. Après avoir été contre son gré soumis à la grande machine étatique, l’individu en revient aux besoins primaires antiques : panem et circenses, du pain et des jeux. Dans ce contexte, la pastorale de la culture doit privilégier le contact patient et l’ouverture généreuse vers les artistes, encourager les fêtes paroissiales et diocésaines, proposer des débats sur les grands thèmes bibliques comme sur les faits les plus importants de la vie quotidienne du moment, utiliser le pouvoir éducatif du sport, et veiller à la bonne tenue des musées, bibliothèques et archives de l’Église. Une attention particulière doit être portée à l’influence de la culture médiatique. Sans préjugés exclusivistes, il est important de promouvoir les moyens de communications sociales propres à l’Église, au triple niveau paroissial, diocésain et national, aussi bien dans la presse que dans la radio. Et en même temps, il est nécessaire que des laïcs chrétiens bien formés soient présents et agissants dans les medias publics, aussi bien que privés. Dans tous les cas, les chrétiens doivent se libérer des complexes d’infériorité devant la culture dominante et ne pas succomber à une fausse exigence de la tolérance qui voudrait les réduire au silence et les empêcher de donner leur témoignage d’une culture spécifiquement catholique. Dans la culture post-communiste, le matérialisme pratique a pris la place du matérialisme dialectique et suscité une forme inédite de capitalisme sauvage, véritable totalitarisme pratique. Dans cette situation nouvelle, le dialogue entre la foi et la culture trouve son champ privilégié dans le domaine éthique. Aucune démocratie ne peut vivre sans une axiologie reconnaissant des valeurs éthiques fondamentales. La dignité de l’homme et sa responsabilité morale constituent la base du dialogue à l’aube du IIIème millénaire. Et contrairement aux prophètes de malheur sur l’avenir de la vie religieuse dans les sociétés post-communistes, qui prévoyaient une chute brutale due à ce que la vitalité de l’Église aurait hier été motivée davantage par une opposition politique au système totalitaire que par les principes évangéliques, le nombre des vocations sacerdotales demeure aussi élevé aujourd’hui en Pologne qu’il y a dix ans. Devant les nouveaux défis du nouveau millénaire, l’Église avec une grande espérance ne cesse de proposer l’insertion du Message spécifique de l’Évangile dans les cultures de notre temps comme un nouvel Humanisme chrétien où " le Christ manifeste pleinement l’homme à lui-même et lui découvre la sublimité de sa vocation " (Gaudium et Spes, 22).