Peuple de missionnaires aux prises avec sécularisation

S.Em. il Card. José da Cruz Policarpo, Patriarca di Lisbona

1. Il est clair que le phénomène de la sécularisation, comme il est décrit dans l’Instrumentum laboris, et sa dérive dans le sécularisme, sont aussi ressentis dans notre pays et dans notre culture, malgré son histoire très marquée par le catholicisme, la fidélité au Pape, l’ardeur missionnaire, et l’amour de Notre-Dame, couronnée Reine du Portugal.

Toutes ces valeurs souffrent l’érosion du changement culturel : courent-elles le risque de disparaitre ?

Le sécularisme imprégné l’ambiance culturelle et influence la vie de ceux qui n’ont pas de convictions profondes, ni non plus d’habitudes de l’exercice de la liberté. Ce sécularisme, c’est l’eau où doivent nager tous les poissons, mais qui n’empêche pas que quelques uns suivent leur chemin.

Faire face à une culture hostile à sa mission et à sa perspective de vie, n’est pas une nouveauté pour l’Église. C’était ainsi dans l’Empire romain, et sur tous les continents où l’Église a apporté le message de Jésus. En Occident, nous étions habitués à un cadre culturel profondément marqué par le christianisme, car, malgré toutes les erreurs passées, la foi chrétienne a transformé la culture, est devenue culture. Ce changement est trop brusque pour qu’on s’y habitue facilement ; il est semblable au désarroi ressenti par l’Église au moment de la chute de l’Empire romain et de l’ébranlement du cadre culturel qui le soutenait. Seulement, la hardiesse de l’Esprit nous permettra de recommencer pour aller vers un nouvel âge, qui n’est pas un retour au Moyen-âge, mais un âge nouveau. C’est la hardiesse de l’espérance. Dans la première partie de l’Instrumentum laboris, j’ai senti le manque de signes d’espérance. En toutes ces circonstances de l’histoire, l’Église doit pouvoir discerner des « signes », « signes des temps », les nouvelles chances du Royaume.

Pour faire face aux nouveaux défis de la mission, l’Église se heurte à des difficultés à l’intérieur d’elle-même : son langage, sa façon d’entrer en rapport avec la société, ses structures et ses lois, et surtout une religiosité vécue sans la force transformatrice de la foi. Une Église qui défend le statu quo, acquis au long des siècles, mais faible dans l’ardeur de la foi et dans la fidélité à Jésus-Christ, est vulnérable à ces changements culturels.

2. Comme dans tous les milieux culturels où l’Église annonce Jésus-Christ, face à une culture sécularisée, l’Église est confrontée à deux attitudes, apparemment irréconciliables : la rupture ou l’identification avec beaucoup de valeurs qui, dans leur inspiration foncière, sont communes à celles qu’elle propose. Le dilemme s’est déjà présenté à Jésus devant les pharisiens et les docteurs de la loi : rien de la Thora ne passera, mais le Royaume des Cieux exige une rupture qui permet de semer l’avenir.

3. Mais parlons de l’esprit de mission, une des lignes de force de l’identité spirituelle des catholiques portugais. Comment résistent-ils dans une culture séculariste ? Je suis convaincu qu’un vrai esprit de mission, enraciné dans l’expérience de la foi, est le dynamisme qui peut pénétrer le mieux dans cette culture sécularisée.

3.1. Tout d’abord, il faut le reconnaître, on assiste à une sécularisation de l’esprit de mission qui s’exprime dans la solidarité de personnes et d’institutions. Au niveau de l’État laïque, on s’efforce de démontrer que l’État peut résoudre les problèmes sociaux et favoriser l’entraide entre personnes, sans faire appel à l’Église. Celle-ci n’a pas l’exclusivité du service social. Les prophètes de la laïcisation de la société parlent d’une « éthique républicaine » qui montre la capacité de la République à construire une société solidaire. D’un autre côté, de puissantes organisations non gouvernementales (ONG) mobilisent la société civile dans cet esprit de mission humanitaire à portée internationale. Beaucoup de chrétiens sont engagés dans ces missions.

3.2. À l’intérieur de l’Église, surgissent de nouvelles expressions de la mission « ad gentes ».

Le nombre du personnel missionnaire, prêtres, religieuses et laïcs, qui part en mission pour de longues durées est encore impressionnant. Surtout parmi les jeunes universitaires, beaucoup font l’expérience de partir en mission pour des durées plus courtes, d’un an ou de quelques mois, en accord avec les Églises locales, surtout en Afrique de langue portugaise. Uniquement pour Lisbonne, des centaines de jeunes universitaires s’engagent chaque année. Des structures permanentes de type ONG ont vu le jour, comme « Les laïcs pour le développement ». Ces expériences missionnaires de courte durée sont, parfois, le chantier où mûrissent des vocations missionnaires, sacerdotales, religieuses et laïques.

3.3. Mais le grand défi pastoral pour l’Église, c’est de susciter un sens de la mission, la joie et l’urgence de témoigner de la foi dans la société que les croyants partagent avec tous les autres. Il s’agit de découvrir la simplicité de la mission. C’était le défi du Congrès International pour la Nouvelle Évangélisation. Le peuple de Lisbonne a montré qu’il est prêt à accepter des expressions publiques de la mission de l’Église dans les espaces profanes. Dans le grand rassemblement de clôture, autour de l’image de Notre-Dame de Fatima, un million de personnes environ a cheminé ensemble dans une procession de lumière.

Un aspect très important de la mission dans le climat culturel de la sécularisation, est l’action des chrétiens laïcs au cœur des réalités terrestres. Avec la crise de l’Action Catholique et le surgissement des mouvements charismatiques, cette dimension de la mission est tombée dans l’oubli ; dans les structures pastorales, presque rien n’est orienté vers une aide spécifique à ces chrétiens et à leur mission. À Lisbonne, nous nous efforçons de valoriser cette mission, en proposant aux chrétiens de faire, en groupe, une lecture des réalités de la société, à la lumière de la Doctrine Sociale de l’Église. La Parole de Dieu et l’enseignement de l’Église sont les phares qui illuminent cette lecture croyante des réalités actuelles.

Je continue à croire que, en termes culturels, même en des eaux insalubres, il est possible de nager en direction de justes choix de vie et de liberté.